Les six yogas de Naropa : les pratiques secrètes du bouddhisme tibétain – Le corps illusoire

Les six yogas de Naropa : les pratiques secrètes du bouddhisme tibétain – Le corps illusoire

LE CORPS ILLUSOIRE – enseignement de Khenpo Tashi Rinpoche – Paris 2017

Il faut s’entraîner à ce qu’on appelle le yoga du corps illusoire. C’est à dire comprendre et réaliser que les 8 soucis mondains (les huit préoccupations séculières) sont illusoires, que le désir de gain, la peur de la perte etc ne sont qu’un mirage. Cela signifie tout simplement que nous croyons, à tort, en la réalité de Tout que ce que l’on vit : la preuve, nous développons toutes sortes de réactions à propos de ce que nous expérimentons, comme si ces choses existaient vraiment .
Nous sommes affectés par les choses que l’on vit : c’est le signe que l’on pense c’est sérieux, que les situations que l’on vit sont réelles.

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La personne qui a perçu directement le réel comprend que c’est une fabrication, que c’est illusoire. Elle voit les choses comme un film, les choses existent, elles sont là, c’est comme un film. Dans un film d’action par exemple, il y a le héros qui fait toutes sortes de bonds, des cascades, on lui tire dessus, il tue tout le monde et les gens qu’il tue ont vraiment l’air d’être mort. Il y a de l’action, nous avons l’impression que c’est vrai. Nous regardons le film, nous poussons des ah des ho ! On est émerveillé. Parois même nous pleurons. Par contre, les acteurs quand ils jouent, ont toutes sortes de caméra autour d’eux. Ils jouent leur scène et après ils sortent du plateau et c’est fini. Ils comprennent que le rôle qu’ils ont tenu est une illusion. Ils ne rentrent pas dedans. Si on était là à regarder les acteurs joués nous pourrions comprendre que tout cela est faux. Mais lorsque nous allons au cinéma nous sommes affectés, on a toutes sortes d’émotions, on est content quand le méchant meurt, quand les amoureux se retrouvent, et on vit comme ça toutes sortes d’émotions. On est touché, c’est bizarre parce que nous sommes dans une salle de cinéma mais pourtant nous développons toutes sortes de réactions. La vie c’est exactement comme ça ! On est pris dans le film, dans cette fiction qu’est la vie, pensant que c’est réel, que c’est continuel. Alors que ce n’est pas que l’intervalle où l’on est assis sur le fauteuil du cinéma et nous pensons que c’est vrai, nous réagissons, nous avons des dépressions et des cauchemars.

Khenpola dit que pour la personne qui arrive à maintenir son esprit dans la perception directe des choses telles qu’elles sont voit alors la réalité. Elle comprend que tout cela est une projection fabriquée par l’esprit. Elle ne peut rien saisir, Elle est dans le dessaisissement et pas dans l’attachement. Au contraire elle est libre de ça, elle comprend directement les choses et donc voit que tout cela est un film, une projection de l’esprit, elle ne se laisse pas affecter par les apparences. Tandis que la personne qui ne voit pas ça croit dans le spectacle que l’esprit se donne à lui-même et prend l’illusion pour la réalité.

Attaquer cette illusion, de faire quelle s’élimine, qu’elle s’évapore, qu’elle diminue, c’est le travail du corps illusoire. Nous en avons besoin non seulement maintenant dans notre monde mais plus particulièrement dans notre pays nous avons besoin de ce yoga du corps illusoire. Pourquoi en avons nous besoin ici et maintenant ? C’est parce que le problème majeur en Occident c’est le stress ! Nous avons résolu tous les autres problèmes, nous avons le confort, la richesse, etc. cela donne même des maladies physiques. Un grand nombre de maladies sont liées au stress, c’est ça le problème principal lié à la saisie. Le stress c’est la saisie de l’esprit. Il appréhende les choses, il saisit les choses, cela provoque du stress et c’est le signe que l’on ne sait pas méditer le corps illusoire. Si nous savions pratiquer le yoga du corps illusoire nous n’aurions pas tant de saisie, nous n’aurions pas autant de stress.

S’il y a un problème soit il existe une solution, soit il n’y en a pas. Par exemple prenons un problème anodin : notre ordinateur est sur la table et la tasse se renverse. Nous allons nous énerver, on s’énervera encore davantage si c’est quelqu’un d’autre qui a renversé la tasse. C’est quoi l’énervement ? C’est le signe que l’on saisit, qu’on est attaché aux choses, que l’on croit que c’est vrai ! C’est même plus que ça ! On octroie une véritable réalité auto substantielle et permanente aux choses. C’est vraiment ancré, nous nous laissons illusionner, nous pensons que c’est vrai, nous octroyions une véritable réalité aux choses. On est énervé alors que quand la tasse se renverse il n’y a pas 36 choses à faire, il faut nettoyer. S’énerver ne sert à rien, ça ne sèchera pas l’eau, ça ne va pas remettre du thé dans la tasse et il n’y a aucun bienfait à la colère. Mais nous au lieu de procéder méthodiquement de façon pragmatique, la tasse est tombée j’essuie et si j’ai envie de me resservir du thé j’en remets, nous nous énervons on croit que cela est vrai c’est un signe manifeste d’incompréhension déjà grossière, ordinaire il n’y a pas grand-chose à faire le thé est tombé il faut l’essuyer et puis voilà on ne peut rien faire d’autre que d’essuyer le thé mais l’incompréhension est beaucoup plus profonde, on croit que cela existe vraiment on croit qu’il n’y a un acteur, un sujet et un objet. On croit que c’est vrai, que c’est permanent. En tibétain, on dit quand quelqu’un réagit de cette manière là : tu t’énerves pourquoi ? Il n’y a rien là, la tasse s’est renversée et alors ! D’une manière ordinaire on dit que rien ne s’est passé réellement. Mais nous de manière ordinaire et profonde on réagit parce qu’on est dans la fiction, dans l’illusion, et de surcroit ce n’est pas approprié parce que ça ne résout pas le problème ni l’énervement, ni le stress. A partir du moment où l’on prend le problème à partir de la racine, on voit alors directement ce qu’il en est et on travaille sur ça. Ce n’est qu’un film, une projection de l’esprit. Des choses se passent mais j’en tire des conclusions erronées qui sont des fictions et je réagis face à ses conclusions erronées. À partir du moment où je travaille sur le corps illusoire ça limite directement le problème, l’esprit est d’autant plus clair pour agir comme il faut au moment où il faut.

Un autre exemple on a une tasse précieuse en porcelaine fine, elle se casse, ça pose des problèmes pour la personne qui s’était attachée à cette tasse. Elle avait pris sa tasse pour réelle et elle avait développée de l’attachement sur cet objet qu’elle avait pris pour réel, comme s’il existait substantiellement, de façon permanente. Si l’objet se casse, en l’occurrence une tasse précieuse, ça va affecter l’esprit et donc créer du stress. Se sont deux exemples simples.
Un autre exemple bien didactique, très simple à comprendre : imaginer quelqu’un au milieu d’autres personnes qui nous traite de voleur publiquement ! Ah ! Non comment ça voleur ! Ce n’est pas moi et, si la situation est assez inconfortable devant des gens que nous connaissons, nous allons nous énerver. Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Alors il y a deux possibilités, soit on n’est pas un voleur et la personne peut dire 10 fois voleur, 100 fois, 1000 fois ou toute la journée et ça va pas faire de nous un voleur, donc aucun problème. La personne peut crier autant qu’elle veut, c’est faux un point c’est tout. Il n’y a rien d’autre à faire, il n’y a rien à penser autre chose, que la personne se trompe et, ce n’est tout pas du tout notre problème. Ou autre solution, on est un voleur et ça ne sert à rien de s’énerver. Dans les deux cas s’énerver ne sert à rien. Mais nous dans les deux cas on va s’énerver, on va vivre la situation de façon inconfortable. On va être affecté, mais en plus quand cela sera terminé on va emporter tout ça à la maison « lui il m’a traité de voleur ! la prochaine fois il faut que je me le fasse et là il ne s’en sortira pas comme ça ».

Il m’a traité de voleur, on appelle tous ses amis : j’ai été traité de voleur devant tout le monde. On amplifie le truc ce qui fait qu’un état désagréable s’installe dans l’esprit, une gêne, de l’inconfort s’installe dans l’esprit, on n’est pas heureux, il n’y a plus la paix de l’esprit. Si on est très impacté par ça, trop sensible, on ne va plus dormir, plus manger. On ne va plus pouvoir parler aux gens et on va perdre notre travail. Nous voyons la force de l’illusion avec un exemple très simple. Cela provoque beaucoup de conflits dans l’esprit, de tourments, alors que si nous comprenons que ce qu’on est en train de vivre est une projection de l’esprit, de simples fictions que nous prenons pour réelles, que ça ne dure pas, que c’est insaisissable, que c’est irréel et sans essence.

Nous travaillons sur ce corps illusoire pour comprendre que tout n’est qu’une construction de l’esprit, une projection sans aucune consistance réelle, sans substance. Si on cherche on ne trouve rien et quand la personne nous traite de voleur qui traite telle de voleur ? Elle s’imagine que j’existe réellement ! nous rigolons, la personne nous traite de voleur on est dans la joie non seulement il n’y a pas d’affliction dans l’esprit mais nous en tirons une sérénité, une grande paix s’installe, c’est ce que nous dit techniquement le texte par un exemple simple : on nous fait comprendre que lorsqu’on perçoit directement le réel on ne croit plus à la réalité concrète des choses substantiels, des phénomènes, on voit les choses pour ce qu’elles sont. On voit la réalité telle qu’elle est, illusoire et les 8 soucis mondain s’auto libèrent.

Les 8 soucis mondains

Les 8 soucis mondains sont : le gain ou la perte, quand il y a de la perte nous ne sommes pas contents. A partir du moment où nous avons un gain nous sommes heureux et si j’ai de la perte nous sommes malheureux. Ce sont les deux premiers soucis mondains.
Si nous avons une bonne renommée, nous sommes content, on a une bonne réputation, nous sommes réjouis. Par contre si on a une mauvaise réputation ça nous rend malheureux, l’esprit n’est pas content d’avoir une mauvaise réputation.

Cela fait 4 soucis mondain.
Si on loue nos qualités que l’on nous fait des compliments l’esprit se réjouit, si au contraire on nous critique, on est dans l’opprobre l’esprit n’accepte pas. Cela fait 6 soucis mondains.
Et enfin le plaisir et la douleur : s’il y a du plaisir l’esprit est content et s’il y a de la douleur il est mécontent. Ces huit soucis qui nous préoccupent continuellement, quand nous voyons la réalité des choses il n’y a plus de prise, ça ne veut plus rien dire, ça n’a plus de sens et ces huit préoccupations s’auto-libèrent.

L’histoire de Khenpo Nagchu

Il y a une histoire que l’on raconte depuis longtemps au Tibet qui illustre bien la pratique du corps illusoire. Quoi qu’on entende, louanges ou insultes les paroles n’ont plus d’impact quand on médite le corps illusoire. Donc il y a plusieurs centaines d’années au Tibet un grand méditant Jigten Sangum arrivé dans une région du Tibet qui s’appelle Nagchu.
Il y avait Nagchu Khenpo, le lama de cette région qui méditait plusieurs années dans un petit ermitage dans la montagne avec quelques élèves. Jigten Sangum est arrivé dans l’ermitage de ce Khenpo, les présentations ont été faites et Jigten Sangum à demander : depuis combien de temps êtes vous là à méditer ? Le Khenpo lui dit que ça fait tant d’années et que lui et ses élèves méditaient particulièrement sur le corps illusoire. Jigten Sangum dit : c’est impressionnant vous avez une grande renommée dans la région. Avant d’arriver dans cette province j’ai entendu parler de cet ermitage ; où vous méditez, et c’est pour ça que je suis monté jusqu’à vous. Parce que les gens parlaient de cet ermitage où il y avait des grands pratiquants. C’est très bien que vous puissiez méditer le corps illusoire surtout pendant autant de temps, mais il y a des gens quand même qui vous critiquent fort dans les villages avoisinants ! Le khenpo s’est vexé et a dit : Qui ose parler de moi, amener le moi tout de suite il va avoir à faire à moi, pourquoi il critique ? Qu’est-ce qu’il a ? Jigten Sangum lui dit : et voilà c’est ça la pratique du corps illusoire, en fait la pratique du corps illusoire c’est ça.

Quoi qu’on entende quoi qu’il se passe nous comprenons que c’est illusoire nous comprenons que l’impact est illusoire, l’action est illusoire, l’objet est illusoire le sujet qui est censé être impacté est lui-même illusoire il n’y a personne à blesser, il n’y a personne à insulter et nous réalisons ça réellement. On n’est pas dans l’illusion c’est pour ça qu’on n’est plus impacté, ce n’est pas seulement une fabrication intellectuelle.

La pratique du corps illusoire vise que cela ne soit plus contradictoire, le fait qu’on comprenne en théorie que c’est illusion et le fait de le vivre également ce n’est pas contradictoire. Il ne faut pas que cela soit contradictoire. Par exemple le matin il y a des personnes qui prennent les vœux du bon cœur, ils récitent des vœux altruistes de bodhisattva, ils récitent : Puisse tous les êtres être considérés comme notre propre mère, être heureux et doté des sources du bonheur, puissent-ils être libres de la souffrance puissent-ils être dans le vrai bonheur puissent ils être parfaitement équanimes.

Nous souhaitons le vrai bonheur pour les gens, leur apporter les causes du bonheur, on souhaite qu’ils soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance et, après on rentre le soir chez soi, nous nous disputons avec notre femme, notre famille, avec les enfants, c’est contradictoire ou bien on arrive au travail et on se dispute avec ses collègues.

Ce sont des paroles qui sont livrées à notre réflexion, nous devons vraiment prendre toutes ces paroles et en tirer des conclusions, y réfléchir.

Il y a longtemps quand Khenpo est passé à Taïwan pour enseigner, là-bas les pratiquants font l’offrande du mandala. Ils voulaient offrir le mandala à Khenpo. il y avait le directeur du Centre qui offrit le mandala. Dans l’offrande du mandala c’est la requête de l’enseignement où j’offre en imagination tout ce qui est plaisant, tout ce qui satisfait l’esprit, tout ce qui satisfait les cinq sens, tout ce qui est bon à voir, à entendre, à sentir, bon à goûter, à toucher. Nous imaginons que nous les offrons, mais ce n’est pas seulement en qualité mais aussi en quantité, la planète, le système solaire, l’univers, tous les univers et à la fin, le mont Mérou, tous les systèmes de monde 100 fois 10 millions de systèmes de mondes que nous offrons. C’est une offrande impensable inconcevable, une offrande extraordinaire 100 fois 10 millions de mondes, tout ce qui réjouit l’esprit je l’offre comme mon corps, tout.

Le directeur fait l’offrande rituelle à Khenpo et Khenpo sourit. Il est très content. Pourquoi vous êtes si content lui demande le directeur ? Khenpo répond, » tu viens de tout m’offrir, tu viens de m’offrir ta maison, ta carte bleue, ta femme, tes enfants, tu viens de tout m’offrir ».

« Oh non ce n’est pas ça en fait » dit le directeur.